Le temps continu en finance

Supposez que vous disposiez d’un capital de 1 et que votre banquier vous propose de l’investir sur un compte rémunéré à hauteur de 100% [1] pendant 1 an. À la fin de l’année, de combien disposerez-vous ?

Dans le cas présent, le calcul est très simple : vous avez mis 1 et, à la fin de l’année, votre banquier vous versera 100% de 1 d’intérêts ce qui, en principe, devrait vous faire 2.

Seulement voilà : il est tout à fait possible que votre banquier vous propose de vous payer vos intérêts en plusieurs fois. Par exemple, un taux d’intérêt nominal de 100% sur un capital de 1 peut aussi donner lieu à un paiement de 0.5 au bout de 6 mois et des 0.5 à la fin de l’année.

Supposons donc que votre banquier vous propose un paiement semestriel et admettons [2] qu’il vous permette de réinvestir vos intérêts au même taux. À la fin de l’année, de combien disposerez-vous ?

C’est à peine plus compliqué : au bout de 6 mois, vous avez toujours votre capital initial (1) auquel vient se rajouter un premier paiement de 0.5 que vous réinvestissez à 100% pour les 6 mois restants. À la fin de l’année, vous récupérez donc ces 1.5, un second paiement de 0.5 et les 0.25 qui correspondent aux intérêts des 0.5 réinvestis en cours d’année. Vous voilà donc avec un capital de 2.25.

D’une façon générale, on peut facilement démontrer que pour tout capital initial $C_0$ et pour tout taux d’intérêt nominal $k$, la valeur acquise de votre capital placé selon cette règle [3] pendant $t$ années s'écrit :

$$C_t = C_0 \times \left(1+\frac{k}{f}\right)^{ft}$$

Où $f$ désigne le nombre de paiements d’intérêt par an : dans le cas de paiements semestriels $f = 2$, avec des paiements trimestriels ont aurait $f = 4$ etc.

Reprenons notre exemple initial ($C_0 = 1$, $k = 1$ et $t = 1$) et voyons ce que ça donne en augmentant la fréquence ($f$). Avec des paiements trimestriels ($f = 4$), vous devriez trouver environ 2.44141, avec des paiements mensuels ($f=12$) ça fait environ 2.61304, avec des intérêts tous les jours ($f=365$ sur une année bissextile) vous arrivez à quelque chose comme 2.71457 et, dans l'hypothèse parfaitement incongrue où vous pourriez réinvestir vos intérêts toutes les heures ($f=8760$ sur une année bissextile), vous récupéreriez 2.71813 à la fin de l'année.

Comme vous pouvez le constater, plus la fréquence augmente, plus la valeur acquise de votre capital est importante — ce qui est assez logique puisque ça signifie que vous pouvez réinvestir de plus en plus tôt — mais on sent bien que ça tend vers une limite.

C’est la question que se posait Jabob Bernouilli en 1683 : « si je place 1 thaler [4] à 100% pendant 1 an et que la fréquence de paiement des intérêts tend vers l’infini (imaginez, pour simplifier, qu’on vous paie des intérêts toutes les nanosecondes), combien ça fait ? »

La réponse c'est $e$, le « nombre d'Euler », la « constante de Néper », la base du logarithme naturel qui vaut environ 2.71828.

D’une façon générale, pour tout capital initial $C_0$ et pour tout taux d’intérêt nominal $k$, la valeur acquise de votre capital placé pendant $t$ années en supposant que vos intérêt sont payés et réinvestis au taux $k$ à une fréquence infinie s’écrit :

$$C_t = C_0 \times e^{kt}$$

Ce qui fait qu’avec un peu d’algèbre, vous pouvez aussi exprimer notre taux d’intérêt ($k$) en fonction du capital initial ($C_0$) et de sa valeur acquise après $t$ années ($C_t$) :

$$k = \frac{1}{t} \times \ln{\left( \frac{C_t}{C_0} \right)}$$

Ou, puisque c'est mathématiquement équivalent :

$$k = \frac{1}{t} \times \left( \ln{(C_t)} - \ln{(C_0)}\right)$$

On peut utiliser le même principe pour exprimer des taux de rendement. Habituellement, pour mesurer le taux de rendement entre $C_0$ et $C_t$, on utilise :

$$ d_{0, t} = \frac{C_t}{C_0} - 1$$

Ce qui revient à supposer que la différence entre $C_0$ et $C_t$ nous est payée en une seule fois à la date $t$ (c'est-à-dire qu'il n'y a pas matière à réinvestir quoi que ce soit). Mais on peut aussi, par simple convention de calcul, faire comme si ce rendement prenait la forme d'une infinité de paiements qui nous sont versés et que nous réinvestissons en continu au même taux. Auquel cas :

$$ \delta_{0, t} = \ln{\left( \frac{C_t}{C_0} \right)}$$

Et :

$$C_t = C_0 \times e^{\delta_{0, t}}$$

Mais après tout, pourquoi utiliser ces choses-là puisque nous avons déjà une convention de calcul des taux de rendement (celle de $d_{0,t}$) ? Eh bien figurez-vous qu’il existe une excellente raison à ça : les rendements continus se somment. C’est-à-dire que :

$$\delta_{0,T} = \delta_{0,1} + \delta_{1,T}$$

Or, cette propriété est extraordinairement utile pour tout un tas d'applications pratiques et peut, même, dans certain cas extrêmes, permettre à des journalistes du service public d'échapper au ridicule [5].

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[1] Par convention et ce depuis la nuit des temps un taux d’intérêt est toujours exprimé en base annuelle : lisez 100% d’intérêt par an.
[2] Ce qui, dans la pratique, n’a que très peu de chance d’arriver. Ce n’est qu’une convention de calcul.
[3] On appelle ça des intérêts composés : ce n’est, comme je l’ai déjà dit ci-dessus, qu’une convention de calcul.
[4] C'est la monnaie qui circulait à Bâle (Suisse) à l'époque. On est presque sûr que c'est de là que vient le mot « dollar. »
[5] JT de France 2 le 19 février 2013. La vidéo est ici.

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